Lénaïg Bredoux (avatar)

Lénaïg Bredoux

Journaliste, responsable éditoriale aux questions de genre

Journaliste à Mediapart

20 Billets

3 Éditions

Billet de blog 29 novembre 2022

Lénaïg Bredoux (avatar)

Lénaïg Bredoux

Journaliste, responsable éditoriale aux questions de genre

Journaliste à Mediapart

Léo Grasset : comment Mediapart a enquêté

Le célèbre youtubeur a dénoncé dans une vidéo diffusée le 19 novembre l’enquête que nous avons publiée le 23 juin à propos des violences sexistes, sexuelles et psychologiques qu’il aurait commises. Explications sur nos méthodes d’enquête, qui ont permis la publication d’un nouveau volet.

Lénaïg Bredoux (avatar)

Lénaïg Bredoux

Journaliste, responsable éditoriale aux questions de genre

Journaliste à Mediapart

« Des insinuations et des citations tronquées », « un portrait (…) malhonnête », des « contre-sens », un « story-telling » qui aurait profité de « la street-cred » de Mediapart : dans une vidéo diffusée le 19 novembre, le célèbre youtubeur Léo Grasset s’en est pris longuement à notre travail sur les violences sexistes et sexuelles. Et plus particulièrement à la première enquête qui l’a mis en cause, publiée sur notre site le 23 juin dernier.

Hasard du calendrier – du moins de notre côté –, Mediapart était en train de travailler à de nouvelles révélations à propos de la star de la vulgarisation scientifique « DirtyBiology ». Un article que nous publions ce mardi 29 novembre. Nous révélons de nouveaux témoignages, dont une plainte pour « viol » déposée fin novembre auprès du procureur de la République de Paris par une jeune étudiante en journalisme de 22 ans, Léa. Selon nos informations, une enquête préliminaire a été ouverte mardi 29 novembre par le parquet de Paris. 

Questionné, Léo Grasset, qui est présumé innocent, n’a pas donné suite à notre demande d’entretien, lancée près d’une semaine avant. Ses avocats nous ont fait savoir qu’il « conteste fermement les accusations ».

En juin dernier, il avait également choisi de ne pas nous répondre. Là encore, nous l’avions contacté très en amont, et nous n’avions décidé de publier notre article que lorsque son refus a été présenté comme définitif par ses avocat·es. Depuis, hormis un communiqué de démenti général peu après la publication de notre première enquête (reproduit en intégralité ici), Léo Grasset était resté silencieux.

Il a fallu attendre cinq mois pour qu’il poste une vidéo de 34 minutes intitulée « Ma réponse à Mediapart ». Il s’en prend à notre travail mais sans jamais évoquer le fond des accusations – il affirme réserver ses réponses à la justice. Il conclut par des « remords » ou des « regrets », reconnaît qu’il a « trompé », « menti », et « déçu des gens qui [lui] étaient très chers ». « Je recherche l’apaisement et j’aimerais faire le deuil de ces quelques années chaotiques », affirme le youtubeur.

Concernant Mediapart, Léo Grasset dénonce essentiellement des éléments de contexte, et cite certains messages que nous avons reproduits et dont il conteste l’interprétation.

À chaque étape de notre travail, nous aurions pourtant préféré que ses réponses figurent dans nos contenus. Un article ou une émission sont plus riches quand toutes les parties y contribuent. Une enquête est plus précise, plus détaillée quand la personne mise en cause a livré sa version des faits.  

Ce « respect du contradictoire » est à la fois un impératif déontologique pour les journalistes, et une obligation légale. C’est aussi l’occasion de confronter les points de vue, de rectifier certaines imprécisions ou de préciser certains éléments. Léo Grasset n’a pas souhaité le faire. C’est son droit, bien entendu. 

Mais il est aussi de notre devoir de rappeler quelle a été sa réponse. Y compris plusieurs fois dans l’article, quand il est long, pour rappeler qu’il manque le point de vue du mis en cause. Un choix que Léo Grasset a dénoncé dans sa vidéo, estimant que cela « instrumentalise [sa] volonté de ne pas répondre à [nos] questions » et que cela pourrait « suggérer un aveu de culpabilité ». L’intention est inverse. 

De manière générale, les enquêtes sur les violences sexistes, sexuelles ou psychologiques répondent aux mêmes impératifs déontologiques que toutes les autres investigations menées et publiées par Mediapart. Ce sont ceux fixés par la loi sur la liberté de la presse de 1881, enrichis par la jurisprudence : le but légitime poursuivi – l’intérêt public de nos révélations –, la nécessité d’une enquête sérieuse, l’absence d’animosité personnelle, la prudence dans l’écriture, et le respect du contradictoire.

Voilà notre boussole.

Cela nous oblige à des vérifications parfois très longues, des recoupements, de nombreux entretiens… Ce qui explique qu’il faille parfois plusieurs mois avant de pouvoir publier une enquête. Ainsi la première enquête concernant Léo Grasset a nécessité plus d’un an de travail (pas à temps plein évidemment). La seconde a demandé près de cinq mois (même remarque).

Concrètement, pour ce deuxième article, nous avons commencé à recevoir de nouveaux témoignages après le premier, fin juin – cela arrive régulièrement pour les enquêtes les plus médiatisées. À partir de là, nous avons mené les entretiens, croisé les sources, consulté des messages etc. Nous avons aussi suivi le cheminement, parfois douloureux, des femmes qui se sont confiées. L’une d’elles a déposé plainte en cette fin novembre, alors que nous l’avions rencontrée pour la première fois au début de l’été…

Nous essayons aussi toujours de remettre les récits dans leur contexte. Ainsi dans le premier article, un élément était crucial : toutes les personnes citées, à de très rares exceptions près, travaillaient toutes sur YouTube, et plus précisément dans la vulgarisation scientifique. Toutes avaient des amitiés, des histoires, des intérêts croisés. Il fallait les démêler, et l’expliquer.

Ainsi nous avions rappelé – contrairement à ce que Léo Grasset prétend – que Lisa* qui l’accuse de viol (ce qu’il conteste) avait été la cible de moqueries et de critiques très fortes, non seulement de sa part mais de toute une bande… dont faisaient partie à l’époque plusieurs de nos sources. 

Le youtubeur nous reproche aussi des « citations tronquées » à deux reprises. Il faut bien comprendre que nous avons eu accès à des centaines, voire des milliers de messages, à des mails, pour lesquels il fallait faire un tri drastique entre ce qui relevait de la vie privée et ce qui était d’intérêt public. Non seulement l’écrasante majorité de ces éléments écrits n’a pas été publiée, mais nous avons réduit leur citation à leur strict minimum. 

Parfois leur interprétation peut prêter à confusion sans que cela soit anticipé à la relecture. Mais aucun message n’a été volontairement « tronqué » pour en modifier le sens. 

Restent alors les faits : au fil des enquêtes de Mediapart, 13 femmes, qui ne se connaissent pas toutes entre elles, ont affirmé avoir souffert de leur relation – parfois épisodique ou en pointillés – avec Léo Grasset. Deux l’accusent de « viol », dont l’une a écrit au procureur de la République de Paris pour porter plainte. Une autre a porté plainte pour « harcèlement sexuel ». Douze évoquent des « problèmes de consentement » dans certains rapports sexuels, une forme « d’emprise », des « violences psychologiques ».