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Billet de blog 9 novembre 2021

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Interview de D. 26 ans, éboueur sans-papiers en grève

Depuis le 25 octobre, environ 300 travailleur.ses sans-papiers d’Île-de-France font grève pour leur régularisation, dont 59 éboueurs, salariés de l’entreprise de collecte de déchets Sepur. Aujourd’hui, la grève est reconduite, et une délégation doit rencontrer la direction. D., 26 ans, qui fait partie de ces 59 grévistes, témoigne de la façon dont se passe l’emploi des sans-papiers chez Sepur.

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Depuis le 25 octobre dernier, environ 300 travailleurs et travailleuses sans-papiers de toute l’Île-de-France se mobilisent pour réclamer leur régularisation. Livreur.ses pour Monoprix, plongeur.ses au café Marly du Louvre, intérimaires chez Manpower ou Planett Interim se sont mis.es en grève. La plupart ont obtenu ou sont en train d’obtenir gain de cause.

Mais pour les éboueurs de l’entreprise Sepur, dont 59 sont actuellement en grève, l’avenir reste incertain et le conflit se durcit : tandis que Sepu a positionné des vigiles et des maîtres-chiens à l’entrée des dépôts pour prévenir toute tentative de blocage, les grévistes se sont rassemblés quotidiennement à Bobigny, dans une salle mise à disposition par la mairie. Là, ils tiennent quotidiennement leur piquet de grève et leurs assemblées générales. Le syndicat qui les accompagne dans cette lutte (CGT) a prévenu de la reconduction de la grève et s’apprête à rencontrer ce matin la direction de Sepur.

C’est dans ce contexte que j’ai pu rencontrer D., 26 ans, éboueur sans-papiers chez Sepur. En grève depuis le 25 octobre, non syndiqué, il est présent tous les jours sur le piquet de grève à Bobigny. Il raconte comment l’embauche de sans-papiers, le prélèvement sur leur salaire et les menaces font partie intégrante du modèle économique de l’entreprise Sepur, qui collecte des déchets dans toute l’Île-de-France.

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Le piquet de grève à Bobigny, salle Pablo Neruda, le 8 novembre 2021. © Jeanne Guien

Comment as-tu été recruté par l’entreprise Sepur ?

Mon frère y travaillait, il m’a donné l’adresse. Je suis allé directement sur place, au dépôt, et j’ai demandé à m’inscrire. On m’a indiqué le chef d’équipe, il a vu que j’avais de faux papiers et m’a alors demandé de l’argent pour m’embaucher : 200 euros par mois. J’ai dit que c’était trop, et finalement on s’est mis d’accord pour qu’il touche 10 % de mon salaire, qui est de 1500 euros par mois. Mon ami, qui a un faux titre de séjour, paye 200 euros par mois. Et ce que nous dit le chef d’équipe, c’est : « si tu ne payes pas, c’est fin de mission ! »

C’est contre ça que tu t’es mis en grève ?

Moi je suis en grève, premièrement, pour avoir mes papiers, arrêter de payer pour travailler ! Et avoir la possibilité de partir si je le veux. Aussi, pour arrêter de travailler avec un alias, pour vivre avec un vrai nom. 

Comment es-tu arrivé en Île-de-France ?

Je suis parti du Mali en 2017, je suis passé par le Maroc et l’Espagne. J’ai traversé la mer Méditerranée avec 37 personnes sur un « souzaque » : c’est comme ça qu’on appelle les bateaux en plastique sur lesquels on part, et qui peuvent à tout moment s’écraser. Ici j’ai aussi travaillé dans une boucherie, mais je faisais 10 à 12h par jour, avec un seul jour de repos, c’était trop. Maintenant je suis éboueur.

Comment ça se passe le travail ?

Je prends trois bus pour me rendre à mon dépôt dans le 91. Trois bus de nuit, donc je dois me réveiller à 3h, parfois 2h du matin. Ceux qui travaillent avec moi, le matin, ce sont tous des hommes, et tous des sans-papiers. Parmi mes camarades, on a presque tous vécu des expériences similaires.

Est-ce que les francilien.nes jettent beaucoup ?

Oui. Je fais les encombrants, parfois les bennes d’ordures ménagères si il y a besoin d’un remplaçant. On n’a pas le droit de récupérer les choses en bon état qu’on trouve, mais ça arrive quand même parfois.

Mise à jour du 11/12/2021 : depuis le 1er décembre, les grévistes obtiennent tour à tour la régularisation de leur situation, avec titre de séjour et permis de travailler en France.

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